1. Comment va la vie dans les pays de l’OCDE ?

Pour savoir comment vont les citoyens et les sociétés et concevoir des politiques publiques véritablement capables d’améliorer le bien-être, les gouvernements doivent regarder au-delà du fonctionnement de l’économie et prendre également en considération tout un ensemble de conditions de vie. Pour cela, nous avons besoin de données et de statistiques qui reflètent des aspects de l’existence tels que le revenu, la santé, la satisfaction à l’égard de la vie, la sécurité et les liens sociaux. Nous devons aussi pousser l’analyse au-delà des résultats moyens et déterminer non seulement si les conditions de vie s’améliorent, mais où elles s’améliorent et pour qui. Enfin, nous devons mesurer non pas uniquement le bien-être actuel, mais aussi les ressources qui peuvent permettre de le pérenniser.

Le cadre de mesure du bien-être de l’OCDE, qui évalue si le bien-être des populations s’améliore ou non (Encadré 1.1), est plus pertinent que jamais. Des préoccupations avaient déjà été exprimées quant aux lacunes des données et à l’absence de statistiques couvrant l’ensemble des conditions de vie des individus lors de la décennie de croissance modérée du PIB et d’inflation faible qui a précédé 2007 (la « Grande Modération »). La crise financière de 2008 et l’instabilité politique, le mécontentement social et les troubles civils qu’elle a provoqués dans plusieurs pays de l’OCDE ont mis un peu plus en exergue la nécessité d’obtenir des données améliorées sur les expériences de nos concitoyens et les circonstances de leur vie. Les Objectifs de développement durable des Nations Unies ont donné une nouvelle impulsion aux efforts entrepris par les pouvoirs publics pour amener les individus, leur prospérité, leur tranquillité, les liens qu’ils nouent et la santé à long terme de la planète au centre des préoccupations. Les gouvernements nationaux sont de plus en plus conscients de l’importance du bien-être, et plusieurs d’entre eux ont mis au point des cadres de mesure du bien-être semblables à celui de l’OCDE. Certains pays membres commencent aussi à développer des outils dans le but d’intégrer le bien-être des citoyens dans la définition de leurs objectifs et priorités stratégiques, l’analyse des politiques et les processus budgétaires (Durand et Exton, 2019[1] ; OCDE, 2019[2] ; Fleischer, Frieling et Exton, 2020[3]).

Alors, le niveau de bien-être s’est-il amélioré dans les pays de l’OCDE ? Comment va la vie ? 2020 (Encadré 1.2) montre qu’à certains égards, le bien-être a progressé depuis 2010, époque à laquelle la plupart des pays de l’OCDE n’avaient pas fini de se relever des effets de la crise financière. Les habitants des pays de l’OCDE ont aujourd’hui un revenu disponible plus élevé et sont plus susceptibles d’occuper un emploi. Ils vivent également plus longtemps, sont plus satisfaits de leur existence et moins susceptibles de vivre dans un logement surpeuplé. Les taux d’homicides ont baissé, et globalement, les gens se sentent plus en sécurité.

Mais dans d’autres domaines, qui ont trait pour la plupart à la qualité des relations personnelles et aux types de liens que les individus entretiennent entre eux et avec leurs gouvernants, les progrès sont lents, quand la situation ne s’est pas détériorée. Cette évolution nécessite de mettre en place un suivi plus attentif et, plus fondamentalement, impose aux pouvoirs publics d’agir : les inégalités de revenu, la part du revenu que les ménages des pays de l’OCDE consacrent au logement, la mesure dans laquelle les individus se sentent soutenus dans les périodes difficiles et la participation électorale stagnent depuis 2010. Quant au patrimoine médian des ménages, aux résultats des élèves aux épreuves de sciences du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) et au temps consacré aux interactions avec les amis et la famille, ces indicateurs se sont tous dégradés. De plus, des disparités marquées selon le sexe, l’âge et le niveau d’études persistent concernant la plupart des aspects du bien-être.

Les pays de l’OCDE qui affichent un niveau moyen de bien-être plus élevé se caractérisent également par une plus grande égalité entre les catégories sociodémographiques (définies selon des critères tels que le sexe, l’âge ou le niveau d’études) ainsi qu’entre les personnes situées en haut et en bas de l’échelle d’évaluation de chaque dimension du bien-être, et les individus souffrant de privations y sont moins nombreux. Globalement, les populations des pays que l’on a l’habitude d’associer à un bien-être élevé – pays nordiques, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande et Suisse – conjuguent un niveau de bien-être relativement élevé et des inégalités relativement faibles. Néanmoins, certains des pays les plus égalitaires ont peu progressé depuis 2010, et certains ont même vu les inégalités se creuser sur leur territoire.

Point positif, un grand nombre de pays de l’OCDE qui étaient relativement mal classés en termes de bien-être au début de la décennie rattrapent peu à peu leur retard : ces pays – dont beaucoup sont situés en Europe de l’Est – sont ceux qui affichent le plus grand nombre d’indicateurs de bien-être en progression parmi ceux examinés dans ce chapitre, et ceux où les inégalités ont reculé selon le plus grand nombre de critères depuis 2010. Certains de ces gains de bien-être se sont accompagnés d’une accélération de la croissance du PIB, mais la corrélation n’est pas systématique, soulignant la nécessité de ne pas se référer au seul PIB comme indicateur de progrès (Encadré 1.5).

L’heure n’est pas à l’autosatisfaction, et les pays de l’OCDE vont tous devoir adopter une approche davantage orientée vers l’avenir pour préserver le bien-être des individus et de la planète à plus long terme. Cela est d’autant plus nécessaire que les gouvernements des pays de l’OCDE sont actuellement confrontés à plusieurs défis, à commencer par la menace d’une stagnation économique prolongée et le risque de voir surgir de nouvelles perturbations naturelles et sociales (OCDE, 2019[4]). Concernant le capital économique et le capital naturel, les signes d’alerte sont clairs ; quant au capital social, il n’a connu pratiquement aucune amélioration depuis 2010. Par exemple, la dette publique et la dette des ménages se sont aggravées dans des pays où ces deux agrégats étaient déjà bien en-deçà des moyennes de l’OCDE. Le changement climatique fait peser une terrible menace sur le bien-être futur, les émissions mondiales de gaz à effet de serre liées à la consommation d’énergie ayant atteint leur plus haut niveau historique en 2018. Les pays de l’OCDE consomment aujourd’hui davantage de ressources terrestres par habitant qu’en 2010, et le nombre d’espèces menacées a augmenté. La confiance envers l’État reste faible et la parité hommes-femmes en politique, si elle gagne péniblement du terrain, demeure un objectif lointain.

Malgré ces risques pour leur bien-être futur, les pays de l’OCDE ont connu quelques avancées sur le plan du capital humain. Depuis 2010, la part des jeunes adultes ayant achevé leurs études secondaires du deuxième cycle a augmenté (même si les résultats aux tests obtenus par les élèves dénotent un certain déclin de la qualité de l’enseignement), le nombre de travailleurs au chômage, découragés ou sous-employés a diminué1, et la mortalité prématurée régresse. Dans l’ensemble, cependant, les progrès accomplis par les pays sur le plan du bien-être actuel ne se sont pas toujours accompagnés d’une amélioration équivalente des ressources nécessaires pour pérenniser ces gains. Dans les années à venir, les pays de l’OCDE devront voir plus loin que l’optimisation du bien-être actuel et adopter une approche plus globale qui répartisse les investissements de façon plus équilibrée entre toutes les facettes du bien-être.

Les aspects matériels déterminent la situation économique d’une personne et peuvent en outre avoir d’amples répercussions sur d’autres aspects de la vie tels que l’éducation et la santé. Les dimensions essentielles considérées ici sont les suivantes : le revenu et le patrimoine, qui ensemble déterminent les possibilités de consommation des individus ; le logement, qui leur offre un abri, la sécurité et un espace personnel et privé ; et le travail et la qualité de l’emploi, qui décrivent les débouchés professionnels disponibles et les conditions de travail dans l’emploi rémunéré.

D’après les données de 2017 ou les données disponibles les plus récentes, le revenu annuel moyen des ménages dans l’OCDE s’élève à environ 28 000 USD et leur patrimoine médian à environ 162 000 USD. En moyenne, le revenu annuel des 20 % des personnes situées en haut de l’échelle est 5.4 fois plus élevé que celui des 20 % situées en bas. Les ménages des pays de l’OCDE consacrent un tout petit peu plus de 21 % de leur revenu disponible au logement, et 12 % vivent dans un logement surpeuplé. Sur dix adultes âgés de 25 à 64 ans dans ces pays, presque huit exercent un emploi rémunéré. Globalement, 7 % des personnes exerçant un emploi rémunéré effectuent de très longues heures de travail (50 heures ou plus par semaine), et les femmes gagnent presque 13 % de moins par an que les hommes (Tableau 1.1).

Par rapport à 2010, les habitants des pays de l’OCDE ont bénéficié en moyenne d’une amélioration de certains aspects de leurs conditions matérielles, plusieurs économies s’étant relevées de la crise depuis lors. Plus précisément, le revenu disponible des ménages et les taux d’emploi ont progressé entre 2013 et 2017, gagnant respectivement environ 6 et 5 points de pourcentage. Le taux de surpopulation a diminué de presque 3 points, principalement en raison de la forte baisse intervenue entre 2010 et 2011. Dans près d’un tiers des pays de l’OCDE, l’écart de salaire entre hommes et femmes a globalement diminué au cours de la période 2010-2017. Néanmoins, l’écart moyen ne s’est resserré que d’à peine plus de 1 point de pourcentage durant cette période et, à presque 13 %, il se situe encore loin de la parité (Graphique 1.2).

Peu de progrès ont été accomplis depuis 2010 sur le plan de la réduction des inégalités de revenu moyen ou de l’amélioration de l’accessibilité financière du logement (malgré la hausse du revenu des ménages) (Graphique 1.3). De plus, dans les 15 pays pour lesquels des données sont disponibles, le patrimoine médian des ménages a reculé de 4 % en moyenne depuis les alentours de 2010. Dans certains pays de l’OCDE, ce déclin s’explique en partie par la hausse des prix de l’immobilier (OCDE, 2017[6]).

Au-delà des indicateurs phares relatifs aux conditions matérielles présentés ici, d’autres statistiques sont dignes d’intérêt (voir les chapitres 2 à 4). Par exemple, les 10 % des ménages les plus aisés détiennent plus de la moitié du patrimoine total des ménages. Si 12 % des habitants des pays de l’OCDE sont en situation de pauvreté monétaire relative (définie par un seuil de 50 % du revenu médian national), la proportion de personnes déclarant avoir du mal à joindre les deux bouts dans les pays européens de l’OCDE est presque deux fois plus élevée (21 %). Depuis 2010, la capacité des gens à joindre les deux bouts s’est améliorée en moyenne, tandis que la pauvreté monétaire relative est restée stable. Cela étant, plus d’une personne sur trois dans les pays de l’OCDE pour lesquels des données sont disponibles peut être considérée comme en situation de précarité financière – au sens où ces personnes ne disposent pas d’actifs financiers liquides suffisants pour maintenir leur famille au niveau du seuil de pauvreté monétaire pendant plus de trois mois en cas de choc sur les revenus. Parmi les ménages à faible revenu, environ un sur cinq dépense plus de 40 % de son revenu disponible en loyers et remboursements de crédit immobilier. En outre, un jeune sur dix âgé de 15 à 24 ans est sans emploi et sorti du système éducatif (alors que le taux d’emploi global est de 76 %), un taux qui n’a que légèrement diminué depuis 2010 (de 2 points de pourcentage).

La qualité de vie s’appréhende au travers des expériences personnelles et des conditions environnementales : il s’agit ici de savoir comment vont les gens, comment ils se sentent, et s’ils vivent dans un environnement sain et sûr. Sont prises en compte dans la qualité de vie les dimensions du bien-être suivantes : la santé (une longue vie exempte de maladies physiques ou mentales, et la capacité d’une personne d’exercer les activités qu’elle souhaite), les connaissances et les compétences (ce que les gens savent et ce qu’ils sont capables de faire), la qualité de l’environnement (l’absence de pollution et l’accès aux commodités), le bien-être subjectif (un bon équilibre psychique et la perception positive qu’ont les personnes de leur existence) et la sécurité (la protection contre les préjudices).

Dans l’ensemble des pays de l’OCDE en moyenne, une personne née en 2017 peut espérer vivre 80.5 ans. À mesure que les individus avancent en âge, des inégalités marquées liées à l’éducation et au revenu se font jour : en moyenne, l’espérance de vie d’un homme âgé de 25 ans diplômé du supérieur dépasse de 7.6 ans celle d’un homme de même âge qui n’a pas dépassé le premier cycle de l’enseignement secondaire. Pour les femmes, l’écart correspondant est de 4.8 ans. En moyenne, un jeune de 15 ans sur huit environ a des compétences inférieures au niveau « de base », défini par des scores faibles dans les trois matières évaluées par le programme PISA de l’OCDE (mathématiques, compréhension de l’écrit et sciences). Dans les pays européens de l’OCDE, 93 % des citadins vivent à dix minutes de marche ou moins d’un parc ou d’un espace vert. En 2017, plus de 60 % de la population de l’ensemble des pays de l’OCDE étaient exposés à un niveau de pollution atmosphérique aux particules fines (PM2.5) supérieur à 10 microgrammes/m3, le seuil dont le dépassement est considéré comme nocif pour la santé humaine par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Dans l’OCDE, le taux de mortalité par agression est de 2 pour 100 000 personnes, les victimes étant principalement des hommes jeunes sur le continent américain et des hommes âgés de 30 à 44 ans en Europe et en Asie (ONUDC, 2019[7]). Dans l’OCDE en moyenne, les hommes se sentent plus en sécurité que les femmes : huit hommes sur dix déclarent se sentir en sécurité lorsqu’ils marchent seuls la nuit dans le quartier où ils vivent, contre six femmes sur dix. La satisfaction des citoyens à l’égard de la vie, mesurée sur une échelle graduée de 0 (pas du tout satisfait) à 10 (totalement satisfait), est de 7.4 en moyenne dans les pays de l’OCDE. Lors d’une journée type, une personne sur huit environ éprouve davantage de sentiments négatifs (colère, tristesse, inquiétude) que de sentiments positifs (être content, rire ou sourire beaucoup, se sentir détendu) (Tableau 1.2).

Par rapport à 2010, les taux d’homicides ont baissé en moyenne de 0.8 décès pour 100 000 personnes, et l’écart entre les proportions d’hommes et de femmes déclarant se sentir en sécurité lorsqu’ils ou elles marchent seul(e)s la nuit s’est resserré de 3.5 points. De plus, dans les pays de l’OCDE, l’espérance de vie d’un nouveau-né a augmenté d’environ un an et deux mois, les personnes âgées de 15 ans et plus sont légèrement plus satisfaites de leur existence (par rapport à 2013), et le nombre de personnes exposées à une pollution atmosphérique nocive a diminué (Graphique 1.4). Des nuances importantes s’imposent néanmoins : dans certains pays qui affichaient déjà une espérance de vie élevée (tels que l’Islande, l’Allemagne, la Grèce et le Royaume-Uni), cet indicateur commence à plafonner, et les États-Unis n’ont enregistré aucun gain net à cet égard depuis 2010. Les niveaux de pollution atmosphérique ont diminué de presque 12 points depuis 2005, mais les progrès ne sont pas toujours intervenus là où la situation était la plus critique : dans dix pays de l’OCDE (Corée, Grèce, Hongrie, Israël, Mexique, Pays-Bas, Pologne, République slovaque, République tchèque et Slovénie), c’est presque toute la population qui reste exposée à des concentrations de PM2.5 dangereuses.

La part de la population déclarant éprouver davantage de sentiments et d’états d’esprit négatifs que positifs lors d’une journée type (bilan émotionnel négatif) ne s’est guère améliorée, demeurant relativement stable depuis 2010-12. Les compétences cognitives des élèves en sciences ont globalement diminué durant cette période (Tableau 1.2).

La qualité de vie se mesure également à l’aune de la qualité des relations, c’est-à-dire la mesure dans laquelle les individus interagissent avec leurs pairs et s’investissent dans la vie de la collectivité, et la façon dont ils occupent leur temps et avec qui. Les principales dimensions considérées ici sont les suivantes : liens sociaux (quantité et qualité du temps passé avec autrui, et mesure dans laquelle les individus se sentent soutenus), engagement civique (le fait que les citoyens puissent prendre part à des activités civiques importantes leur permettant d’agir sur la société dans laquelle ils vivent, et leur participation effective à ces activités) et équilibre vie professionnelle-vie privée (le fait de pouvoir concilier obligations familiales, loisirs et travail – qu’il s’agisse de travail rémunéré ou non3).

Dans les pays de l’OCDE en moyenne, le temps consacré aux interactions sociales (par exemple, parler avec des membres de sa famille ou sortir avec des amis4) est d’environ 6 heures par semaine. Près d’une personne sur dix dans l’ensemble fait état d’un niveau de soutien social insuffisant (c’est-à-dire déclare ne pas avoir d’amis ou de proches sur qui compter en cas de problème). Près de 70 % des personnes inscrites sur les listes électorales ont voté à la dernière élection, mais près de la moitié (46 %) des citoyens estiment qu’ils n’ont pas leur mot à dire concernant l’action publique. Les salariés à plein temps ont en moyenne 15 heures de « temps libre » – temps consacré aux loisirs et aux activités personnelles (sommeil compris) – par jour. Si l’on tient compte à la fois du travail rémunéré et du travail non rémunéré, les femmes effectuent davantage d’heures de travail que les hommes dans presque tous les pays de l’OCDE – presque 25 minutes par jour, ou 12.5 heures par mois de plus en moyenne (Tableau 1.3).

À l’inverse de l’évolution positive observée pour les indicateurs de bien-être liés aux conditions matérielles et aux aspects individuels de la qualité de vie, la tendance générale, pour les dimensions relationnelles, est stable ou légèrement négative. Cependant, les tendances relatives à l’utilisation du temps dans de nombreuses dimensions relationnelles du bien-être ne sont pas disponibles pour la plupart des pays, six pays de l’OCDE seulement (Belgique, Canada, Corée, États-Unis, Italie et Japon) ayant effectué au moins deux enquêtes sur l’emploi du temps durant les deux dernières décennies. Les données dont on dispose montrent que dans ces pays, le temps libre pour les loisirs et les activités personnelles n’a pas augmenté depuis le milieu des années 2000. En parallèle, le temps hebdomadaire consacré aux interactions sociales a baissé d’au moins 20 minutes dans quatre d’entre eux – d’environ une demi-heure au Canada, aux États-Unis et en Italie, et d’un peu plus de 40 minutes en Belgique (Tableau 1.3). La proportion moyenne de personnes faisant état d’un niveau de soutien social insuffisant et la participation électorale sont restées stables dans les pays de l’OCDE depuis 2010-13 (Graphique 1.5).

D’après les indicateurs phares examinés dans ce chapitre, les pays de l’OCDE qui affichent un niveau moyen de bien-être actuel plus élevé sont aussi globalement plus égalitaires – autrement dit, la proportion de personnes souffrant de privations y est plus réduite, de même que les écarts dans la répartition du bien-être et les différences entre groupes de population (Graphique 1.6). Globalement, les populations des pays nordiques, des Pays-Bas, de la Nouvelle-Zélande et de la Suisse conjuguent un niveau de bien-être actuel relativement élevé et des inégalités relativement faibles. A contrario, les habitants des pays d’Europe de l’Est et d’Amérique latine, ainsi que de Turquie et de Grèce, enregistrent des niveaux de bien-être relativement bas et des inégalités relativement plus marquées. Il y a cependant des exceptions : le Danemark affiche de meilleurs résultats en matière d’inégalités que ce que son niveau de bien-être pourrait laisser supposer, tandis que l’Autriche, la Corée et l’Allemagne sont relativement inégalitaires au regard de leurs scores moyens de bien-être.

Bien souvent, les tendances moyennes pour l’ensemble de la zone OCDE masquent la situation des pays pris individuellement. L’examen de l’évolution des différents pays membres depuis 2010 montre qu’aucun d’eux n’a vu sa situation s’améliorer ou se dégrader systématiquement pour chacun des aspects du bien-être saisis par les indicateurs phares (Encadré 1.3). Les trajectoires du bien-être sont en réalité contrastées.

Les scores moyens de la plupart des indicateurs phares du bien-être actuel, soit ont progressé, soit n’ont pas suivi de tendance clairement définie depuis 2010 (Graphique 1.8). L’espérance de vie, les taux d’emploi et le revenu disponible des ménages se sont globalement améliorés dans plus de la moitié des pays de l’OCDE. La Norvège est le seul pays où le taux d’emploi a notablement baissé, et l’Autriche et la Grèce les deux seuls pays où le revenu disponible ajusté net des ménages s’est globalement détérioré. Le taux d’homicides a globalement diminué dans 18 pays de l’OCDE sur 37, et la satisfaction à l’égard de la vie a augmenté dans 15 pays de l’OCDE sur 27. Sur d’autres aspects, les tendances divergent : dans la plupart des pays de l’OCDE, il n’y a pas eu de changement net de la participation électorale par rapport à 2010-12, et parmi les pays restants, l’indicateur a augmenté dans huit pays et baissé dans sept (avec une chute de plus de 10 points de pourcentage en Lettonie et en Slovénie). L’accessibilité financière du logement s’est améliorée dans 11 pays de l’OCDE mais s’est globalement détériorée dans dix autres. En Finlande, en Irlande et au Portugal, la part du revenu des ménages consacrée au logement est supérieure de plus de 2 points de pourcentage à ce qu’elle était en 2010.

Plusieurs indicateurs se sont dégradés entre 2010 et 2018 dans une majorité de pays de l’OCDE pour lesquels des données sont disponibles. Par exemple, les scores des élèves aux épreuves de sciences du PISA se sont nettement détériorés dans une légère majorité des pays de l’OCDE. Dans le sous-groupe de pays pour lequel des informations sont disponibles, les pays où le patrimoine médian des ménages a baissé sont deux fois plus nombreux que ceux où il a augmenté. En Grèce, il s’est amoindri de 40 % depuis 2010. Aucun pays de l’OCDE n’a fait de progrès sur le plan de l’emploi du temps – plus précisément en termes de quantité de temps consacré aux loisirs et aux activités personnelles, ou aux interactions sociales – depuis 2010 ou l’année la plus proche connue. Ainsi, le temps que les personnes consacrent aux interactions sociales a-t-il diminué d’environ une demi-heure au Canada, aux États-Unis et en Italie, et d’un peu plus de 40 minutes en Belgique.

L’Allemagne, le Canada, la Corée, l’Estonie, la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et le Royaume-Uni sont les pays qui affichent le plus grand nombre de gains en matière de niveau moyen de bien-être actuel (c’est-à-dire le plus grand nombre d’indicateurs phares en progression depuis 2010) (Graphique 1.9). Certains de ces « champions », tels que l’Allemagne, se prévalaient déjà d’un niveau de bien-être relativement élevé en 2010. Mais les progrès ont surtout été enregistrés par des pays qui partaient d’un niveau plus bas et disposaient donc d’une marge de progression plus importante (Graphique 1.10). Par exemple, la Hongrie est le seul pays de l’OCDE où plus de la moitié des indicateurs moyens de bien-être se sont améliorés : le revenu disponible des ménages, le taux d’emploi, l’accessibilité financière du logement, l’espérance de vie, la satisfaction à l’égard de la vie et la participation électorale sont tous orientés à la hausse, tandis que le taux d’homicides a reculé. La Hongrie n’en continue pas moins d’occuper le tiers inférieur du classement des pays de l’OCDE pour ces indicateurs, tout comme la Pologne, l’autre pays qui a fortement progressé (Graphique 1.6).

À l’autre extrémité, la Belgique, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, le Luxembourg et la Nouvelle-Zélande sont les pays qui ont enregistré le plus petit nombre de gains en matière de bien-être depuis 2010 (Graphique 1.9). Bien qu’il s’agisse de deux pays généralement bien classés en termes de bien-être moyen, un seul indicateur a régulièrement progressé en Islande (le taux d’emploi), et deux en Nouvelle-Zélande (revenu des ménages et espérance de vie)5.

L’amélioration de certains aspects de la vie ne s’accompagne pas automatiquement d’une amélioration des autres dimensions. Par exemple, bien que le Canada fasse partie du groupe de tête des pays de l’OCDE qui ont vu la moitié des indicateurs phares du niveau moyen de bien-être s’améliorer, la part du revenu consacrée au logement, les compétences des élèves en sciences et la quantité de temps passée avec des amis ou des membres de la famille sont autant d’indicateurs qui se sont dégradés depuis 2010 dans ce pays. Le pays qui a vu le plus grand nombre d’indicateurs moyens de bien-être se détériorer est la Grèce (Graphique 1.9) : les compétences des élèves, la participation électorale, le revenu disponible et le patrimoine médian des ménages ont tous régressé sur la période écoulée depuis 2010.

Contrairement au bien-être actuel, en amélioration globale, le bilan des pays de l’OCDE en matière de réduction des inégalités n’est pas entièrement satisfaisant, les progrès sur ce front étant dans l’ensemble moins manifestes (Graphique 1.11). Le pourcentage de salariés qui effectuent régulièrement de longues heures de travail et sont exposés à une pollution atmosphérique nocive sont les seuls indicateurs phares qui renseignent une baisse régulière du niveau de privation depuis 2010 dans la plupart (la moitié ou plus) des pays de l’OCDE. Cependant, alors que 32 pays ont régulièrement diminué l’exposition aux particules fines (PM2.5), l’ensemble de la population y reste exposée à des niveaux dangereux dans dix pays de l’OCDE (Corée, Grèce, Hongrie, Israël, Mexique, Pays-Bas, Pologne, République slovaque, République tchèque et Slovénie).

Pour toutes les autres formes d’inégalités couvertes par ces indicateurs, aucune tendance claire n’est observable. Les évolutions du sous-ensemble de pays qui affichent une tendance constante depuis 2010 sont souvent contradictoires. Ainsi, le pourcentage de personnes dépourvues de soutien social a augmenté dans quasiment le même nombre de pays (9) que ceux où il a diminué (10). L’un de ces pays est la Grèce, où près d’une personne sur cinq déclare n’avoir personne sur qui compter dans les moments difficiles. En parallèle, alors que cinq pays de l’OCDE ont régulièrement réduit l’écart de revenu entre les 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres de la population depuis 2010, ces inégalités se sont creusées dans 11 autres, soit plus du double. En comparaison d’autres pays de l’OCDE, c’est en Lituanie qu’elles ont le plus augmenté (de plus de 30 %), les revenus des 20 % les plus riches de la population représentant aujourd’hui près de huit fois ceux des 20 % les plus pauvres.

En comparaison d’autres pays de l’OCDE, la République tchèque et la République slovaque ont sensiblement réduit les inégalités, 40 % des indicateurs marquant une amélioration régulière entre 2010 et 2018 (Graphique 1.12). Dans ces deux pays, le pourcentage de salariés travaillant de longues heures, le nombre de ménages vivant dans un logement surpeuplé, et le nombre d’individus déclarant éprouver davantage de sentiments et d’états d’esprits négatifs que positifs (ou qui affichent un bilan émotionnel négatif) ont chuté. De surcroît, les inégalités de revenu et la pollution atmosphérique ont diminué en République tchèque, tandis qu’en République slovaque, l’écart en ce qui concerne le sentiment de sécurité entre hommes et femmes lorsqu’ils marchent seuls la nuit s’est amenuisé, et le nombre de personnes indiquant manquer de soutien social a fléchi.

À l’inverse, la Corée, les États-Unis et la Norvège n’ont régulièrement progressé que dans un domaine depuis 2010 : l’écart entre les sexes en ce qui concerne le sentiment de sécurité en Corée, et l’exposition à une pollution atmosphérique nocive aux États-Unis et en Norvège. C’est au Danemark, aux États-Unis et en Suède que le plus grand nombre d’indicateurs phares (3) signalent une accentuation des inégalités. Dans ces trois pays, le pourcentage de ménages vivant dans un logement surpeuplé augmente constamment, et il en va de même du nombre d’individus ayant le sentiment de n’avoir personne à qui demander de l’aide dans les temps difficiles. De plus, un creusement systématique des inégalités de revenu est observable dans les deux pays nordiques, tandis qu’aux États-Unis, la proportion de la population signalant plus de sentiments négatifs que positifs au cours d’une journée type n’a cessé de progresser.

Les pays où le plus grand nombre d’inégalités ont diminué depuis 2010 sont parfois ceux où les disparités étaient les plus fortes à l’origine (Graphique 1.13). Ainsi, alors que les inégalités de revenu ont régulièrement reculé au Mexique, le revenu des 20 % les plus riches y est encore dix fois supérieur à celui des personnes figurant au bas de l’échelle – il s’agit du plus haut degré d’inégalité de revenu parmi les pays de l’OCDE, avec le Chili. De même, l’écart salarial entre hommes et femmes s’est resserré depuis 2010 au Japon, mais le pays s’inscrit encore dans le tiers inférieur des pays de l’OCDE à cet égard.

À l’autre extrémité du spectre, certains des pays nordiques et anglophones qui ont toujours obtenu de très bons résultats dans les comparaisons internationales des inégalités ont perdu des places au classement. Par exemple, lorsque l’on prend en considération les améliorations et les domaines où la situation n’a pas clairement évolué, le Danemark, la Norvège et la Suède (bien qu’ils figurent parmi les plus performants tant sur le plan des inégalités que sur celui du bien-être global) sont dans l’ensemble devenus plus inégalitaires depuis 2010, tout comme les États-Unis. En Nouvelle-Zélande et aux Pays-Bas aussi, la réduction des inégalités a dans l’ensemble marqué le pas lorsque l’on prend en compte tous les indicateurs phares.

Mesurer les inégalités consiste à regarder au-delà des moyennes pour examiner la question : « qui a quoi ? » Les inégalités horizontales mettent en évidence les progrès et les désavantages en matière de bien-être selon différents groupes (femmes et hommes, et individus d’âges et de niveaux d’instruction divers par exemple).

Les écarts moyens entre femmes et hommes en ce qui concerne la satisfaction à l’égard de la vie, la participation électorale, le temps de loisir et les compétences des adultes à l’écrit et en mathématiques sont généralement très faibles (Graphique 1.14). En 2018, filles et garçons de 15 ans ont obtenu des notes similaires aux tests de mathématiques et de sciences – une première depuis le lancement des enquêtes PISA de l’OCDE en 2000 –, les résultats des filles en compréhension de l’écrit demeurant légèrement supérieurs à ceux des garçons (voir le chapitre 6)6.

Des disparités substantielles sont observables en matière d’expérience professionnelle. Les hommes ont plus de chances d’occuper un emploi – le taux d’emploi moyen dans l’OCDE est de 83 % pour les hommes contre 70 % pour les femmes – et leur rémunération est supérieure de 13 %. Néanmoins, ils sont aussi deux fois plus susceptibles d’effectuer régulièrement de longues heures de travail (50 heures ou plus par semaine). Cela dit, lorsque l’on tient compte du travail rémunéré et non rémunéré (temps consacré aux tâches ménagères courantes, à la prise en charge des enfants et des adultes, aux achats de biens et services destinés à l’habitation et aux déplacements liés aux activités domestiques), les femmes travaillent plus que les hommes dans quasiment tous les pays de l’OCDE, de près de 25 minutes par jour en moyenne, soit 12.5 heures par mois (chapitre 10). En effet, dans tous les pays de l’OCDE, les hommes salariés passent plus de temps au travail que les femmes (90 minutes de plus par jour en moyenne), mais même dans les pays les plus égalitaires qui disposent de données, les femmes consacrent systématiquement plus de temps que les hommes au travail non rétribué (environ deux heures de plus par jour en moyenne dans l’OCDE). Même dans ceux où les écarts entre les sexes en termes d’heures de travail rémunéré sont faibles (en Estonie par exemple), les femmes assument l’essentiel du travail non rétribué. En revanche, les indicateurs de satisfaction quant à la façon d’occuper son temps à l’échelle de la population (chez les personnes âgées de 16 ans et plus) font apparaître peu d’écarts tranchés entre les sexes, et ceux-ci vont dans des sens différents selon les pays.

S’agissant des relations sociales, les hommes consacrent globalement 40 minutes de moins que les femmes aux échanges sociaux par semaine, et sont 10 % plus susceptibles de déclarer manquer de soutien social. Sur le plan de la sécurité, la situation diffère considérablement entre hommes et femmes : d’une part, le risque de mortalité par agression des hommes est 4.5 fois plus important dans les pays de l’OCDE, chiffre qui tient aux taux élevés observés en Colombie (où le taux d’homicide des hommes est dix fois supérieur à celui des femmes) et au Mexique (ou ce même taux est supérieur à huit). D’autre part, huit hommes sur dix en moyenne déclarent se sentir en sécurité lorsqu’ils marchent seuls la nuit, ce qui n’est le cas que de six femmes sur dix, peut-être parce que celles-ci risquent davantage d’être victimes d’infractions avec contact et d’agressions sexuelles.

Sur le plan de la santé, l’espérance de vie des filles à la naissance est supérieure de cinq ans en moyenne à celle des garçons. Le taux de « décès par désespoir » (suicide et toxicomanie aigüe) des hommes est aussi près de quatre fois supérieur à celui des femmes. Néanmoins, par rapport à 2010, ce type de décès est en progression chez les femmes ; il a augmenté d’un tiers dans les pays de l’OCDE. Dans l’ensemble, les décès par désespoir, hommes et femmes confondus, s’ils représentent encore un faible pourcentage du nombre total de décès dans l’OCDE, sont trois fois plus nombreux que les décès dus à un accident de la route, et six fois plus nombreux que les décès par homicide (chapitre 5).

Dans tous les pays de l’OCDE, il existe des écarts de bien-être notables entre les jeunes (âgés de 15 à 24-29 ans), les personnes d’âge moyen (25-30 ans/45-50 ans) et les personnes âgées (50 ans et plus) (Graphique 1.15). Globalement, les jeunes sont plus satisfaits de leur vie que les personnes d’âge moyen, et sont moitié moins susceptibles de déclarer manquer de soutien social. Les écarts de bien-être en matière de travail et d’utilisation du temps tiennent en partie à des facteurs liés au cycle de vie et à la situation des différentes tranches d’âge sur le marché du travail : les personnes d’âge moyen ont deux fois plus de chances d’occuper un emploi (leur taux d’emploi est de 81 %, contre 41 % pour les jeunes adultes), et leur rémunération horaire est supérieure de 8 USD (PPA de 2018) en moyenne. En parallèle, elles sont aussi 50 % plus susceptibles de travailler de très longues heures lorsqu’elles sont salariées, et c’est dans cette tranche d’âge que le temps de loisir est le plus faible. Dans les 13 pays de l’OCDE disposant de données harmonisées, les salariés à temps plein, jeunes et âgés, bénéficient respectivement de 50 et 25 minutes supplémentaires de temps libre par jour, en moyenne, que ceux âgés de 30 à 49 ans. La tranche des 30-49 ans est aussi celle qui est la moins satisfaite de la façon dont elle occupe son temps (chapitre 10).

Le taux de participation électorale des personnes âgées (50 ans et plus) est supérieur de 17 points de pourcentage à celui des jeunes, les seniors enregistrant aussi de meilleurs résultats dans les domaines liés au marché du travail (emploi et rémunération). Cela dit, les jeunes obtiennent de meilleures notes aux tests de compétences et sont plus satisfaits de leur vie ; une plus forte proportion d’entre eux déclare par ailleurs se sentir en sécurité lorsqu’ils marchent seuls la nuit et exercer une influence sur l’action des pouvoirs publics (les schémas variant toutefois d’un pays à l’autre sur ce dernier point – voir le chapitre 12). Les personnes âgées sont près de trois fois plus susceptibles que les jeunes de déclarer n’avoir ni amis ni parents vers qui se tourner en cas de problème, ce qui montre à quel point il importe de lutter contre la solitude des personnes âgées.

Les retombées positives des études, de même que les caractéristiques personnelles et la situation socioéconomique de ceux qui poursuivent des études supérieures, peuvent avoir pour conséquence d’améliorer le bien-être. Les diplômés de l’enseignement supérieur obtiennent de meilleurs résultats que les diplômés du secondaire en ce qui concerne la plupart des indicateurs du bien-être, à l’exception des heures de travail, généralement longues, et de la satisfaction quant à la façon dont ils occupent leur temps (Graphique 1.16). Ainsi, le taux de participation électorale des personnes les plus instruites est supérieur de plus de six points de pourcentage, et 43 % des diplômés du supérieur estiment exercer une influence sur l’action gouvernementale, contre 32 % seulement des personnes moins instruites.

La qualité de vie des individus ne peut perdurer que si les ressources qui contribuent au bien-être sont préservées, et si les risques pour les systèmes économiques, naturels et sociétaux sont pris en considération et correctement gérés (Encadré 1.4). Globalement, les évolutions observées depuis 2010 font apparaître des progrès en matière de capital humain, plusieurs motifs d’inquiétude en ce qui concerne le capital naturel, et une marge d’amélioration pour le capital économique et social. Le capital économique comprend les actifs produits et les actifs financiers ; le capital naturel englobe les actifs naturels (stocks de ressources naturelles, couverture terrestre, biodiversité des espèces par exemple) ainsi que les écosystèmes et leurs services (océans, forêts, sols, atmosphère, etc.) ; le capital humain renvoie aux compétences et à la santé future des individus ; et le capital social se rapporte aux normes sociales, aux valeurs communes et aux structures institutionnelles qui favorisent la coopération.

L’évolution des indicateurs phares du capital économique depuis 2010 a dans l’ensemble été positive, quoique lente. Le stock d’actifs fixes produits (comme les bâtiments, les machines et les infrastructures) par personne est en moyenne proche de 119 000 USD dans l’OCDE (Tableau 1.5) ; il a progressé de près de 11 %, au total, entre 2010 et 2018 – quoique à un rythme annuel sensiblement inférieur à celui enregistré les années précédentes (2005-10). Si les passifs financiers des administrations publiques étaient supérieurs aux actifs financiers de quelque 27 points de pourcentage du PIB en 2018, la dette des ménages représentait 126 % de leur revenu disponible en 2017. La valeur financière nette moyenne des administrations publiques de l’OCDE a globalement reculé de 4 points de PIB depuis 2010, car elle a considérable baissé jusqu’en 2014 (les passifs étant alors supérieurs de plus de 30 % du PIB aux actifs) et ne s’est que partiellement redressée depuis. Au cours de la même période, la dette des ménages de l’OCDE a diminué de quelque 3 points de pourcentage en moyenne par rapport à leur revenu disponible (Graphique 1.17), bien qu’elle ait augmenté dans 13 pays.

Les indicateurs du capital naturel multiplient les alertes concernant le changement climatique et le recul de la biodiversité. Le volume total des émissions de gaz à effet de serre issues de la production intérieure de l’OCDE a régressé de 4.3 % entre 2010 et 2017 – bien que celles-ci se soient stabilisées ces dernières années, et qu’elles risquent de repartir à la hausse compte tenu de l’augmentation récente de la consommation d’énergie et des émissions de CO2 qui lui sont liées (OCDE, 2019[8]). La moyenne des émissions de gaz à effet de serre par habitant de l’OCDE a diminué d’une tonne environ depuis 2010, et se montait à 11.9 tonnes annuelles en 2017 (Tableau 1.5). Il est cependant peu probable que ces efforts permettent à la majorité des pays d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de l’Accord de Paris (2015), car la croissance démographique neutralise en partie la baisse des émissions par habitant. Outre les émissions liées à leur propre production, les pays de l’OCDE sont partiellement responsables de la hausse de celles des pays non membres, qui sont incorporées dans leurs importations. À l’échelle mondiale, les concentrations de carbone dans l’atmosphère continuent de croître rapidement : les émissions mondiales ont été multipliées par 1.5 depuis 1990, et celles de CO2 résultant de la consommation d’énergie ont atteint un niveau historique en 2018 (chapitre 14). Les pays de l’OCDE consomment en outre plus de ressources terrestres qu’en 2010 : l’empreinte matières totale de l’OCDE a augmenté de 1.2 tonne par habitant, pour atteindre 25 tonnes (Tableau 1.5). La biodiversité y est aussi en plus grand danger. Le nombre d’espèces classées menacées est plus élevé qu’en 2010, d’où une baisse moyenne de 0.01 point sur l’indice Liste rouge des espèces menacées (Graphique 1.18).

Les évolutions sont plus encourageantes pour certains éléments du capital humain (Tableau 1.5, Graphique 1.19). Aujourd’hui, 85 % des jeunes adultes âgés de 25 à 34 ans (la future population active de l’OCDE) ont au moins achevé le deuxième cycle des études secondaires, pourcentage en hausse de deux points par rapport à 2010. Néanmoins, compte tenu de la baisse des résultats au test PISA observée dans la plupart des pays de l’OCDE (voir le chapitre 6), la question de la qualité des acquis demeure. Globalement, 12 % de la population active est au chômage, découragée ou sous-employée (ces trois caractéristiques constituant ensemble le taux de sous-utilisation de la main-d’œuvre) – ce qui risque de se traduire par une baisse ultérieure du capital humain, car le sous-emploi de la main-d’œuvre peut éroder les compétences des individus, entamer leur confiance et réduire leurs possibilités d’apprentissage. En parallèle logique avec la hausse des taux d’emploi, le taux de sous-utilisation de la main-d’œuvre a globalement décru de près de 5 points de pourcentage. Dans les pays de l’OCDE, la mortalité prématurée due à des maladies ou à des accidents mortels représente environ 4 600 années potentielles de vie perdues pour 100 000 habitants ; ce chiffre aussi marque une amélioration depuis 2010, puisqu’il a diminué de 620 années en moyenne. Malgré tout, l’ensemble plus large d’indicateurs du capital humain figurant au chapitre 15 laisse supposer que la progression de l’obésité dans quasiment tous les pays de l’OCDE présente des risques pour l’état de santé futur : une personne sur cinq est obèse, en moyenne, dans l’OCDE (l’obésité correspondant à un indice de masse corporelle supérieur ou égal à 30). Parmi les 27 pays disposant de données chronologiques, aucun n’enregistre de recul du taux d’obésité, et deux seulement ont conservé le même au cours des 15 dernières années.

La marge d’amélioration en matière de capital social est considérable. Lorsque l’on demande aux gens s’ils ont confiance envers autrui (0 indiquant un niveau de confiance nul et 10 un niveau de confiance total), le résultat moyen dans les pays de l’OCDE est de 6.1 (Tableau 1.5). Après une dégradation générale au lendemain de la crise financière de 2007-08, la confiance envers les institutions publiques a progressé de 3 points de pourcentage, en moyenne, dans les pays de l’OCDE depuis 2010, même si moins de la moitié de la population (43 %) fait confiance à l’État. Cela risque de compromettre la capacité des pays à mettre en place des mesures collectives pour faire face aux difficultés qui s’annoncent. La parité en politique est un objectif encore lointain : les femmes occupent un tiers des sièges parlementaires, en moyenne, dans l’OCDE, et aucun pays n’atteint la parité. Cet indicateur de l’inclusivité de la prise de décision a progressé lentement, puisqu’il n’a gagné que de 2.6 points de pourcentage, en moyenne, depuis 2010 (Graphique 1.20).

Les indicateurs des ressources nécessaires au bien-être futur ont connu des évolutions divergentes depuis 2010, selon la ressource considérée (Graphique 1.22). D’une part, plus de la moitié des pays de l’OCDE ont constamment progressé par rapport aux indicateurs de mortalité prématurée, de niveau d’études des jeunes adultes, de sous-utilisation de la main-d’œuvre, d’émissions de gaz à effet de serre par habitant et d’actifs fixes produits. À contre-courant de la tendance générale, la Grèce, les Pays-Bas et le Portugal sont les seuls pays où les actifs fixes produits ont régulièrement diminué depuis 2010, et les États-Unis sont le seul pays où la mortalité prématurée a augmenté, tendance qui va de pair avec celle de l’espérance de vie à la naissance. Les émissions de gaz à effet de serre par habitant n’ont cessé de croître au Chili et en Turquie, pays où elles continuent cependant de s’inscrire parmi les plus faibles de l’OCDE. En revanche, « aucune évolution claire » n’est observable dans la majorité des pays en ce qui concerne le capital social, notamment la parité en politique et la confiance envers l’État. Parmi ceux où des tendances nettes sont discernables, le nombre de pays (9) où la confiance a augmenté est supérieur à celui des pays où elle a reculé (6). Dans certains cas, le pourcentage de la population qui fait confiance aux institutions publiques a sensiblement diminué : cette baisse dépasse 10 points de pourcentage au Chili et en Suède, et 20 points en Colombie. Certaines composantes du capital économique – dette des ménages et valeur financière nette des administrations publiques – ont connu une dégradation constante dans un tiers des pays de l’OCDE, le recul de la valeur financière nette des administrations publiques le plus prononcé intervenant dans les pays qui se situaient déjà nettement en deçà de la moyenne de l’OCDE (Espagne, Grèce et Portugal par exemple).

La biodiversité ne cesse de reculer dans de nombreux pays de l’OCDE (23) depuis 2010. Les régressions les plus importantes sur l’indice Liste rouge des espèces menacées sont généralement intervenues dans ceux qui affichaient déjà des taux de risque élevés – Nouvelle-Zélande, Mexique, Corée, Colombie, Chili, Royaume-Uni, Japon et Australie ainsi que la France. De même, malgré la baisse des émissions de gaz à effet de serre par habitant, 16 pays de l’OCDE sur 37 ont vu leur empreinte matières par habitant augmenter régulièrement. Les hausses les plus fortes (3 tonnes et plus) ont été enregistrées en Lituanie, en Lettonie, en Estonie, en République slovaque et en Australie – pays dont l’empreinte est supérieure à la moyenne de l’OCDE. Cette situation soulève des questions quant à l’arbitrage entre la durabilité et l’amélioration des niveaux de vie, car bon nombre de ces pays comptent parmi ceux où le bien-être actuel a sensiblement progressé depuis 2010. En revanche, trois pays de l’OCDE dont l’empreinte était inférieure à la moyenne ont suivi une tendance inverse et ont systématiquement réduit leur consommation de ressources terrestres : l’empreinte matières a diminué de plus de 3 tonnes par habitant en Grèce, en Irlande et au Portugal.

Malgré des progrès contrastés au niveau des indicateurs, la plupart des pays de l’OCDE ont globalement réussi à améliorer 50 % au moins de leurs indicateurs phares des ressources dont dépendent le bien-être futur (Graphique 1.23). Par rapport aux autres pays, c’est le Canada qui affiche le plus grand nombre d’indicateurs en progrès, 8 des 11 indicateurs phares ayant enregistré des améliorations constantes depuis 2010 (actifs fixes produits, valeur nette des administrations publiques, émissions de gaz à effet de serre par habitant, et les trois indicateurs du capital humain, à savoir mortalité prématurée, niveau d’études des jeunes adultes et sous-utilisation de la main-d’œuvre, ainsi que confiance envers le gouvernement et parité en politique). À l’inverse, c’est en Turquie que le nombre d’indicateurs des ressources systémiques ayant progressé est le plus faible ; seul a augmenté régulièrement le pourcentage de jeunes adultes ayant achevé le deuxième cycle de l’enseignement secondaire. En Chili, en Colombie et en Finlande, deux des 11 aspects du bien-être futur seulement marquent une amélioration, le Chili étant le pays où les destructions des ressources nécessaires au bien-être futur sont les plus nombreuses.

Dans certains pays de l’OCDE, un seul indicateur phare (ou aucun) des ressources disponibles pour l’avenir a enregistré une dégradation. C’est le cas de l’Autriche, la Belgique, l’Islande, Israël, le Luxembourg et plusieurs pays d’Europe orientale où de nombreux indicateurs du bien-être actuel se sont améliorés (Estonie, Hongrie, Lituanie et République tchèque) (Graphique 1.23).

Bien que corrélés, les progrès du bien-être actuel n’ont pas toujours suivi le rythme de ceux des ressources nécessaires au bien-être futur. De fait, les nombreuses avancées réalisées par les pays à cet égard ne se sont pas toujours accompagnées d’une amélioration équivalente des ressources nécessaires pour les pérenniser (Graphique 1.24). Certains pays membres de l’OCDE, comme les États-Unis, l’Irlande et la Suisse, ont nettement plus progressé en ce qui concerne les ressources dont dépend leur bien-être futur qu’en termes de bien-être « ici et maintenant ». D’autres, comme la Colombie, la République slovaque et la Turquie, ont bien plus rehaussé le bien-être des populations aujourd’hui qu’ils n’ont investi dans les ressources futures. Cela signifie que, pour répartir équitablement le bien-être entre les générations, les pays doivent examiner séparément les composantes du bien-être actuel et du bien-être futur de manière à limiter le risque de négliger l’un au détriment de l’autre – risque qui paraît particulièrement sérieux dans le cas du capital naturel (Encadré 1.4). De plus, si certains gains de bien-être sont allés de pair avec une croissance plus dynamique du PIB, cela n’est pas toujours le cas, ce qui montre bien qu’il convient de ne pas se limiter au seul indicateur de croissance du PIB pour évaluer les progrès (Encadré 1.5).

Références

[1] Durand, M. et C. Exton (2019), « Adopting a Well-Being Approach in Central Government: Policy Mechanisms and Practical Tools », dans Global Happiness Policy Report 2019, Sustainable Development Solutions Network, New York, http://happinesscouncil.org/.

[5] Exton, C. et L. Fleischer (2020), « The Future of the OECD Well-being Dashboard », OECD Statistics Working Papers, Éditions OCDE, Paris (à paraître).

[3] Fleischer, L., M. Frieling et C. Exton (2020), « Measuring New Zealand’s Well-being », OECD Statistics Working Papers, Éditions OCDE, Paris (à paraître).

[8] OCDE (2019), Environment at a Glance Indicators, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/ac4b8b89-en.

[2] OCDE (2019), OECD Economic Surveys: New Zealand 2019, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/b0b94dbd-en.

[4] OCDE (2019), Perspectives économiques de l’OCDE, Volume 2019 Numéro 1, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/0a0e3904-fr.

[9] OCDE (2019), PISA 2018 Results (Volume II): Where All Students Can Succeed, PISA, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/b5fd1b8f-en.

[6] OCDE (2017), Perspectives économiques de l’OCDE, Volume 2017 Numéro 1, Éditions OCDE, Paris, https://dx.doi.org/10.1787/eco_outlook-v2017-1-fr.

[7] ONUDC (2019), Global Study on Homicide, http://unodc.org/documents/data-and-analysis/gsh/Booklet2.pdf (consulté le 17 janvier 2020).

Notes

← 1. Le taux de sous-utilisation de la main-d’œuvre recouvre les chômeurs, les travailleurs découragés (personnes ne faisant pas partie de la population active et n’ayant pas recherché d’emploi au cours des 4 semaines précédentes mais qui souhaitent et peuvent travailler) et les travailleurs sous-employés (travailleurs à temps plein ayant travaillé moins que la normale pendant la semaine de référence de l'enquête pour des raisons économiques et travailleurs à temps partiel n’ayant pas trouvé de poste à temps plein alors qu’ils le souhaitaient).

← 2. Dans l’édition 2017 de Comment va la vie ?, plusieurs indicateurs étaient utilisés à la fois pour la mesure du bien-être actuel et celle des ressources nécessaires au bien-être futur. Cette décision avait été prise délibérément en 2015 lorsqu’il avait fallu définir concrètement les indicateurs relatifs aux ressources nécessaires au bien-être futur, suivant le raisonnement que les connaissances, la santé et le patrimoine sont des éléments intrinsèquement importants pour l’individu, mais aussi qu’ils influencent le niveau de bien-être dans la suite de l’existence et pour la société dans son ensemble. Il s’est cependant avéré que l’utilisation de plusieurs indicateurs communs empêchait d’expliquer clairement la logique du cadre de mesure du bien-être aux parties prenantes. Pour plus de clarté et une plus grande facilité d’interprétation, Comment va la vie ? 2020 réduit autant que possible les chevauchements entre indicateurs, tout en conservant l’esprit et l’essence des différentes dimensions du bien-être et formes de capital. Par exemple, les compétences cognitives des adultes et des jeunes (de 15 ans) apparaissaient à la fois dans la dimension connaissances et compétences du bien-être actuel et dans la dimension capital humain du bien-être futur. Même si elles sont déterminantes à la fois pour le bien-être actuel et pour les résultats futurs, ces compétences ont une importance intrinsèque pour les individus (définissant ce qu’ils savent et ce qu’ils sont capables de faire), raison pour laquelle elles n’apparaissent plus que dans les connaissances et compétences. Du reste, le capital humain comprend toujours un indicateur lié à l’éducation (orienté vers l’avenir) : le niveau d’études des jeunes adultes.

← 3.  Le travail non rémunéré comprend les tâches ménagères courantes, les achats de biens et services (principalement produits alimentaires, vêtements et articles destinés à l’habitation), la prise en charge des membres du foyer (enfants et adultes) et extérieures au foyer, le bénévolat, les déplacements liés aux activités domestiques et autres formes de travail non rémunéré.

← 4. Cette mesure ne tient pas compte des interactions qui se produisent dans le cadre d’autres activités primaires (telles que manger ou s’occuper des membres de sa famille).

← 5. Les données sur les tendances dans ces deux pays étant manquantes pour la moitié des indicateurs phares du niveau moyen de bien-être actuel, leurs performances comparatives sont susceptibles d’être biaisées à la baisse.

← 6. Il n’en demeure pas moins que les stéréotypes demeurent un obstacle majeur aux choix de carrière, et sont un facteur déterminant de la ségrégation professionnelle ultérieure des femmes : 1 % seulement des adolescentes de 15 ans évaluées par l’enquête PISA dans les pays de l’OCDE déclarent envisager un métier dans le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC), ce chiffre étant de 8 % pour les garçons (OCDE, 2019[9]).

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